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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/74

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

France ; avec l’homme qui, après avoir été le héros de la révolution de 1789 en proclamant les droits de l’homme, venait d’être celui de la révolution de 1830 en rédigeant le programme de l’hôtel de ville !

Hélas ! à cette époque, j’étais fort ignorant d’histoire, et mon admiration d’amateur pour le général dut assez peu le flatter.

Cette conversation européenne nous conduisit peu à peu au dessert, et nous ramera naturellement à l’objet de ma question.

— Et maintenant, général, lui demandai-je, est-ce trop indiscret de vous répéter ce que je vous disais hier : Comment se fait-il qu’ayant pris part à toutes les conspirations de Béfort, de Saumur et de la Rochelle, vous n’ayez jamais été inquiété ?

Le général se leva, alla vers un secrétaire, l’ouvrit, en tira un portefeuille fermé à clef, et prit dans ce portefeuille un papier qu’il garda dans le creux de sa main gauche, et avec lequel il vint se rasseoir à table.

— Avez-vous jamais entendu parler, me demanda-t-il, d’un homme appelé Thomas de Mahi, marquis de Favras ?

— N’est-ce point un chef de complot qui fut exécuté en 1790 ou en 1791 ?

— Justement… Ce fut le premier et le dernier noble pendu. Il conspirait pour Monsieur, frère du roi ; il s’agissait d’enlever, de gré ou de force, le pauvre Louis XVI des Tuileries, de le transporter dans une place forte quelconque, et de faire nommer Monsieur régent.

— Monsieur, qui fut, depuis, Louis XVIII ?

— C’est cela… Eh bien, dans la soirée de Noël 1789, M. de Favras fut arrêté ; on saisit tous les papiers qu’il avait sur lui, et, comme j’étais commandant en chef de la garde nationale, on me les apporta. Au nombre de ces papiers se trouvait la lettre que voici… Lisez.

Je déployai avec un certain frissonnement ce papier, que je supposais, d’après ce que me disait le général, avoir été pris dans la poche d’un homme condamné, exécuté, mort du dernier supplice, et redevenu poussière depuis quarante ans.