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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/95

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

champ et de Lescure. Je demandai à mon guide une explication.

— Ah ! me dit-il dans son langage ordinaire tout entremêlé de vieux mots qu’il semblait avoir retrouvés en mettant le pied sur cette terre des vieux souvenirs, c’est que c’est ici que Kléber et ses trente-cinq mille Mayençais ont été battus par les chouans[1].

Puis il fit un éclat de rire, et, avec ses mains rapprochées l’une de l’autre, imita le cri de la chouette.

J’étais sur la place même où s’était livrée la fameuse bataille de Torfou.

Alors, mes souvenirs de fils de républicain me revinrent en foule ; ce fut moi qui racontai, et le paysan qui écouta.

— Ah ! oui, me dis-je en regardant l’inscription gravée sur la colonne, « 19 septembre 1793, » c’est bien cela !

Puis, portant la vue sur les villages environnants, Torfou, la Buffière, Tiffauges et Roussay :

— Oui, continuai-je, et tout cela brûlait et formait à l’horizon un cercle de flammes, quand Kléber, arrivant avec l’avant-garde de l’armée de Mayence, fit retentir sur le front de ses trois mille hommes le mot « Halte ! en bataille ! » Car, outre le bruit de l’incendie, un autre bruit sourd comme celui de feuilles froissées, de branches rompues, se faisait entendre et allait se rapprochant toujours, sans que l’on aperçût rien sur les routes qui aboutissaient au centre de la forêt. C’est que, par cette forêt qui leur était connue, les Vendéens venaient, venaient lentement, obligés tantôt de ramper, tantôt de s’ouvrir un passage avec leur sabre ; cependant, leur ligne se resserrait de plus en plus, et chaque minute diminuait la distance qui les séparait de leurs ennemis. Enfin, ils arrivèrent si près de la lisière du bois, que tous purent voir à portée de fusil l’armée inquiète, mais ferme, et que chacun eut la faculté de choisir son homme avant de tirer… Tout à coup, la

  1. Le corps d’armée qui avait évacué Mayence, et qu’on avait dirigé sur la Vendée, ne se composait, en réalité, que de dix mille quatre cents hommes.