Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/96

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
93
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

mousqueterie pétilla sur un cercle de trois quarts de lieue, s’éteignit, puis se ralluma avant qu’on sût contre qui ni comment il fallait se défendre. Les Vendéens voulurent profiter de ce moment de désordre : tous s’élancèrent par les routes, pour charger les bleus. Trois mille hommes étaient attaqués de quatre côtés différents par plus de trente mille, ayant pour eux la connaissance des localités, et défendant leurs foyers et leur Dieu ! Chacun des chefs dont le nom est inscrit sur la colonne se présentait par la route à laquelle aujourd’hui son nom fait face. Du moment où nos soldats purent apercevoir l’ennemi, le courage leur revint. « Allons, mes braves ! dit Kléber en se jetant à leur tête, donnons à ces b…-là une indigestion de plomb et d’acier ! » Et il se rua au hasard par l’un de ces quatre chemins, rencontra le corps d’armée de Lescure, le brisa comme verre, et, tandis que celui-ci, à pied, un fusil à la main, ralliait les habitants des Aubiers, de Courlé et des Echauboignes, il courut à l’arrière-garde, qui avait suivi son mouvement, et qu’entouraient les trois corps de d’Elbée, de Bonchamp et de Charette. L’artillerie venait d’arriver : quinze pièces en batterie trouaient six fois par minute les masses qui se reformaient aussitôt ; trois charges de cavalerie vendéenne se heurtèrent et disparurent l’une après l’autre devant ces gueules de bronze. Cela dura deux heures. Kléber, poussant devant lui Lescure, qui se ralliait toujours, Kléber, poussé lui-même par les trois autres chefs, soutenait vaillamment la retraite, lorsqu’une cinquième armée de dix mille hommes conduite par Donissan et la Rochejaquelein, vint s’éparpiller sur ses flancs, tirant à bout portant, tuant à tous coups, et jeta enfin la confusion dans les rangs républicains. Il était temps que la tête de l’armée, toujours commandée par Kléber, arrivât à la Sèvre ; l’héroïque général s’empara du pont, le traversa, et, appelant un maréchal des logis nommé Schewardin : « Faites-vous tuer ici avec deux cents hommes, lui dit-il. — Oui, mon général ! » répondit Schewardin. Il choisit ses hommes, tint parole, et sauva l’armée !

— Oh ! oui, c’est comme cela que tout s’est passé, me dit mon chouan, car j’y étais… J’avais quinze ans, pas encore…