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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

prend ; mais Bossuet, qui écrivait dix ans après la mort de Molière ; mais Jean-Jacques Rousseau, qui écrivait quatre-vingts ans après la représentation de Tartufe ; mais Bourdaloue, mais Fénelon… Ah ! au fait, j’ai oublié de vous dire ce que pensait Fénelon de l’auteur des Précieuses ridicules.

Après l’aigle de Meaux, le cygne de Cambrai !  Il n’y a rien de pis que les animaux à douce toison ou à blanc plumage quand ils deviennent enragés !

« En pensant bien, Molière parle souvent mal ; il se sert des phrases les plus forcées et les moins naturelles. Térence dit en quatre mots, et avec la plus élégante simplicité, ce que celui-ci ne dit qu’avec une multitude de métaphores qui approchent du galimatias. J’aime encore mieux sa prose que ses vers. Par exemple, l’Avare est moins mal écrit que les pièces qui sont en vers ; mais, en général, il me paraît, jusque dans sa prose, ne parler point assez simplement pour exprimer toutes les passions. »

Notez bien que cela s’écrivait vingt ans environ après la mort de Molière, et que Fénelon, l’auteur du Télémaque, parlant à l’Académie, — laquelle applaudissait de ce hochement de tête qui n’empêche pas de dormir, — disait hardiment que l’auteur du Misanthrope, de Tartufe et des Femmes savantes ne savait point écrire en vers.

Ô cher monsieur François de Salignac de la Motte de Fénelon, si j’avais là une critique que Charles Fourier a faite de votre Télémaque, comme j’en régalerais le lecteur !

En attendant, l’homme que la critique du xviie et du xviiie siècle, que les hommes d’Église et les philosophes, que Bossuet et Jean-Jacques Rousseau traitaient d’hérétique, de corrupteur, d’homme abominable ; qui, selon l’anonyme de la lettre au roi, parlait passablement le français, qui, selon Fénelon, ne savait pas écrire en vers ; cet homme est, au xixe siècle, un grand moraliste, un sévère châtieur de mœurs, un inimitable écrivain !

Il y a plus : des hommes qui écrivent à leur tour des lettres