Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/146

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
143
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

vices par le ridicule, et, en rappelant de glorieux souvenirs, de réveiller au fond des âmes l’émulation de la vertu, l’enthousiasme de la liberté, l’amour de la patrie ! Eh bien, nous, si fiers de notre équivoque civilisation ; nous n’avons pas de si hautes pensées ; tout ce que nous demandons, c’est qu’on nous laisse au moins un théâtre, un seul théâtre où nous puissions conduire nos enfants et nos femmes sans que leur imagination soit souillée, un théâtre qui soit véritablement une école de bon goût et de bonnes mœurs.

» Nous n’en appelons point à la direction actuelle des beaux-arts ; une coterie romantique ; ennemie jurée de notre grande littérature, y domine souverainement ; coterie qui ne reconnaît que ses adeptes et ses courtisans, et n’a de faveurs que pour eux, l’artiste sans intrigue y est oublié. Elle veut réaliser ses absurdes théories : elle est allée chercher au boulevard le directeur, les acteurs, les pièces qui doivent déshonorer la scène française : c’est là son but ; ce sont là ses moyens : C’est à M. Thiers ; ministre de l’intérieur, que nous nous adressons. Homme de lettres distingue, admirateur des sublimes génies dont la gloire est celle de la patrie ; c’est à lui, dépositaire d’un pouvoir qui doit veiller à la conservation de ce noble héritage, que nous demandons de ne pas le laisser tomber en des mains hostiles ; de s’opposer à ce débordement de mauvaises mœurs qui envahit le théâtre, pervertit la jeunesse de nos écoles, et la jette dans le monde, avide de jouissances précoces, impatiente de toute espèce de joug, et bientôt fatiguée de la vie. Ce dégoût de la vie presque au sortir de l’enfance, ce phénomène effrayant, jusqu’ici sans exemple, tient en grande partie à la funeste influence de ces spectacles dangereux où se montrent les passions les plus effrénées dans toute leur nudité, et à cette nouvelle littérature où tout ce qui est digne de respect est livré au mépris/ Laisser corrompre la jeunesse, ou plutôt favoriser sa corruption, c’est préparer un avenir de troubles et d’orages ; c’est compromettre la cause de la liberté, c’est vicier dans le germe nos naissantes institutions ; c’est aussi le plus juste et le plus sanglant reproche qu’on puisse faire à un gouvernement… »