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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/151

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

M. Thiers avait fort à faire en ce moment-là : on sortait des troubles de Paris des 13 et 14 avril ; on en finissait à peine avec l’insurrection des mutuellistes de Lyon ; on discutait le budget du commerce et des travaux publics, qui était resté, faute de ministre spécial, une annexe du ministère de l’intérieur ; enfin, on allait justement passer à la discussion générale des beaux-arts, et, par conséquent, passer à la discussion particulière de la subvention du Théâtre-Français.

Au bruit que je fis en ouvrant la porte de son cabinet, M. Thiers leva la tête.

— Bon ! dit-il, je vous attendais.

— Je ne crois pas, répondis-je.

— Pourquoi cela ?

— Parce que, si vous m’aviez attendu, vous eussiez compris dans quelles intentions je venais, et vous m’eussiez consigné à la porte.

— Et dans quelles intentions venez-vous ?

— Mais je viens tout simplement demander compte à l’homme du manque de parole du ministre.

— Vous ne savez donc pas ce qui s’est passé à la Chambre ?

— Non ; je sais seulement ce qui s’est passé au Théâtre-Français.

— J’ai été forcé de suspendre Antony.

— Non pas de suspendre, mais d’arrêter.

— Arrêter ou suspendre…

— Ce n’est pas la même chose.

— Eh bien, j’ai été forcé d’arrêter Antony.

— Forcé ! un ministre ? On peut forcer un ministre d’arrêter une pièce qu’il a envoyé prendre lui-même entre les mains du souffleur d’un autre théâtre, quand ce ministre a loué sa loge pour voir la première représentation de cette pièce ?

— Oui… forcé, j’ai été forcé !

— Par l’article du Constitutionnel ?

— Bah ! s’il n’y avait eu que l’article, je m’en serais encore moqué, quoiqu’il soit de bonne encre.

— Vous appelez cela de bonne encre, vous ? Je vous défie