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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/17

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Liber, en latin, ne veut-il pas dire en même temps libre et livre ?

J’ai déjà dit comment, nous, hommes du mouvement littéraire, nous avions pour ennemis acharnés tous les journaux du mouvement politique. C’était d’autant plus étrange que la révolution littéraire avait précédé, aidé, préparé, annoncé la révolution politique qui était faite, et la révolution sociale qui se faisait.

Ainsi, par exemple, nous nous souvenons d’un article sur Notre-Dame de Paris dans lequel, tout en regrettant que l’auteur ne fût pas plus profondément catholique, le comte Charles de Montalembert louait, avec une fureur d’adepte, le style et la poésie de Victor Hugo.

Ce fut vers cette époque, et quelques jours, je crois, après la représentation d’Antony, que M. de Lamennais manifesta le désir que je lui fusse présenté. C’était un grand honneur pour moi que ce désir ; je m’y rendis avec reconnaissance. Un ami commun me conduisit chez l’illustre fondateur de l’Avenir, qui demeurait alors rue Jacob ; — j’ai retenu le nom de la rue, et oublié le numéro de la maison.

Avant ce jour, je lui avais déjà voué une admiration que j’ai la joie de sentir encore jeune, vive, entière, dans mon cœur et dans mon esprit.

Cependant, l’Avenir avait du succès ; on s’en aperçut bientôt aux colères et aux haines qui se déchaînèrent contre ses doctrines. Parmi les conseils qu’il donnait au clergé, celui de renoncer aux traitements servis par l’État, et de suivre le Christ nu, fut très-peu goûté ; on commençait à s’indigner. La voix solennelle de l’abbé de Lamennais avait beau crier : « Brisez ces chaînes avilissantes ! Laissez là cette guenille ! » Le clergé répondait à demi-voix :

Guenille, si tu veux…, ma guenille m’est chère.

Veut-on savoir à quel degré le journal l’Avenir avait ses racines enfoncées dans ce que l’on appelle aristocratiquement