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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/22

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

J’ai promené mes chevaux par les rues,
Et, sous le fer de leurs rudes sabots,
J’ai labouré le corps des femmes nues,
Et des enfants couchés dans les ruisseaux !…
Hourra ! hourra ! j’ai courbé la rebelle !
J’ai largement lavé mon vieil affront :
J’ai vu des morts à hauteur de ma selle !
Hourra ! j’ai mis les deux pieds sur son front !…
Tout est fini, maintenant, et ma lame
Pend inutile à côté de mon flanc.
Tout a passé par le fer et la flamme ;
Toute muraille a sa tache de sang !
Les maigres chiens aux saillantes échines
Dans les ruisseaux n’ont plus rien à lécher ;
Tout est désert ; l’herbe pousse aux ruines…
Ô mort ! ô mort ! je n’ai rien à faucher !

Le Choléra-Morbus.

Mère ! il était un peuple plein de vie,
Un peuple ardent et fou de liberté ;
Eh bien, soudain, des champs de Moscovie,
Je l’ai frappé de mon souffle empesté !
Mieux que la balle et les larges mitrailles,
Mieux que la flamme et l’implacable faim,
J’ai déchire les mortelles entrailles,
J’ai souillé l’air et corrompu le pain !…
J’ai tout noirci de mon haleine errante ;
De mon contact j’ai tout empoisonné ;
Sur le téton de sa mère expirante,
Tout endormi, j’ai pris le nouveau-né !
J’ai dévoré, même au sein de la guerre,
Des camps entiers de carnage fumants ;
J’ai frappe l’homme au bruit de son tonnerre ;
J’ai fait combattre entre eux des ossements !…
Partout, partout le noir corbeau becquète ;
Partout les vers ont des corps à manger ;
Pas un vivant, et partout un squelette…
Ô mort ! ô mort ! je n’ai rien à ronger !