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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/225

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

rent pour gravir une côte ; je crus reconnaître, parmi nos compagnons de route, un rédacteur du Journal des Débats.

Je m’approchai de lui comme il s’approchait de moi. La conversation s’engagea.

— Eh bien, dit-il, vous savez ?

— Quoi ?

Marion Delorme a été jouée.

— Ah ! vraiment ?… Et moi qui me pressais surtout pour assister à la première représentation !

— Vous ne la verrez pas… et vous n’y perdrez pas grand’chose.

C’était tout simple que le rédacteur d’un journal tout dévoué à Hugo, comme l’était le Journal des Débats, parlât ainsi du grand poète.

— Comment, je n’y perdrai pas grand’chose ? Est-ce que la pièce n’a pas réussi ?

— Oh ! si fait ! mais froid, froid, froid… et pas d’argent.

Mon compagnon me disait cela avec la profonde satisfaction du critique se vengeant de l’auteur, de l’eunuque mettant le pied sur la gorge du sultan.

— Froid ? pas d’argent ? répétai-je.

— Et puis mal joué !

— Mal joué, par Bocage et par Dorval ? Allons donc !

— Si l’auteur avait eu le sens commun, il eût retiré sa pièce, ou il l’eût fait jouer après la révolution de juillet, toute chaude encore du refus de MM. de Polignac et de la Bourdonnaie.

— Mais, enfin, comme poésie ?…

— Faible ! bien plus faible qu’Hernani !

— Ah ! par exemple, m’écriai-je, faible de poésie, une pièce où il y a des vers comme ceux-ci…

Et je lui citai presque entièrement la scène entre Didier et Marion Delorme au premier acte.

— Comment, vous savez cela par cœur, vous ?

— Je crois bien, que je sais cela par cœur !

— Et pourquoi diable le savez-vous ?

— Mais je sais à peu près tout Marion Delorme.