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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/247

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

entier sur eux, quarante mille compagnons. Puis, bourdonnant, glanant, grapillant autour de cette spirale comme des frelons autour d’une ruche, les commissionnaires, parasites des fabricants, et fournisseurs des matières premières.

Or, le mécanisme commercial de l’immense machine est facile à comprendre.

Ces commissionnaires vivent des fabricants ; ces fabricants vivent des chefs d’atelier ; ces chefs d’atelier vivent des compagnons.

Joignez à cela l’industrie lyonnaise, la seule qui fasse vivre ces cinquante ou soixante mille personnes, attaquée sur tous les points par la concurrence ; — l’Angleterre produisant à son tour, et ruinant doublement Lyon, d’abord parce qu’elle cesse de s’y approvisionner, ensuite parce qu’elle produit ; — Zurich, Bâle, Cologne et Berne, dressant des métiers, et se faisant rivales de la seconde ville de France.

Il y a quarante ans, quand le système continental de 1810 forçait la France entière de s’approvisionner à Lyon, l’ouvrier gagnait de quatre à six francs par jour. Alors, il nourrissait avec facilité sa femme et cette nombreuse famille qui éclôt presque toujours sur la couche imprévoyante de l’homme du peuple.

Mais, depuis la chute de l’Empire, c’est-à-dire depuis dix-sept ans, le salaire n’avait fait que descendre, de quatre francs à quarante sous, puis à trente-cinq, puis à trente, puis à vingt-cinq.

Enfin, à l’époque où nous sommes arrivés, le simple compagnon tisseur d’étoffe unie gagnait dix-huit sous par jour pour un travail de dix-huit heures. Un sou par heure !… De là, impossibilité de vivre.

Les malheureux ouvriers luttèrent longtemps en silence, essayant, à chaque trimestre, de se retirer dans des chambres plus étroites, dans des quartiers plus méphitiques ; essayant, chaque jour, de retrancher quelque chose sur leurs repas et sur ceux de leurs enfants.

Mais, enfin, quand ils se virent en face de l’asphyxie faute d’air, en face de la famine faute de pain, il s’éleva de la Croix-