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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/265

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Eh bien, que quelqu’un allume un bout de papier, et m’éclaire.

Un fumeur (hélas ! dès cette époque, il y avait des fumeurs partout), un fumeur tira de sa poche un briquet phosphorique, tordit une moitié de journal, et m’éclaira avec ce phare improvisé.

En quatre tours de main, j’eus, à l’aide de mon tournevis, déchaussé la serrure. La serrure déchaussée, la porte s’ouvrit toute seule.

Nous nous trouvâmes dans le parc.

Avant d’aller plus loin, nous crûmes devoir remettre la serrure à sa place. Puis, à tâtons, à travers les allées tortueuses, nous atteignîmes la porte du perron.

Le hasard faisait que les émigrants, comptant probablement sur la première porte pour opposer un obstacle suffisant, n’avaient point fermé celle du château.

Nous entrâmes donc dans le château, et nous nous répandîmes dans les salons, les chambres et les cuisines.

Partout on trouvait les traces d’un déménagement précipité, et que sa précipitation même avait rendu incomplet.

Dans la cuisine restait le tournebroche tout monté, deux ou trois casseroles et une poêle. Dans la salle à manger, il y avait douze chaises et une table ; dans la lingerie, dix-huit matelas ; dans l’armoire d’une chambre, trente pots de confitures !

Chaque découverte amenait des cris de joie pareils à ceux que poussait Robinson Crusoe, au fur et à mesure qu’il visitait le vaisseau naufragé.

Nous avions de quoi faire la cuisine, de quoi nous asseoir, de quoi nous coucher ; plus, trente pots de confitures pour noire dessert.

Il est vrai que, pour notre souper, nous n’avions rien.

C’est alors que je tirai de ma poche mon lièvre et mes perdreaux, en déclarant que j’étais prêt à dépouiller le lièvre, si l’on voulait plumer les perdreaux.

Puis, le lièvre dépouillé, les perdreaux plumés, je me chargeais de mettre le tout à la broche.

Seulement, nous manquions de pain.