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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/273

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Ce déficit reconnu, la consternation fut grande. Pas un de nous n’avait la moindre montre, ne possédait la plus petite épingle, n’était à la tête du plus médiocre bijou. Nous nous regardâmes interdits ; chacun de nous savait bien être au fond de sa bourse, mais chacun de nous avait compté sur son voisin.

Le garçon venait de nous remettre la carte, et rodait dans la chambre, attendant son argent.

Nous nous retirâmes sur le balcon comme pour prendre l’air. Nous étions logés au Grand Monarque ! — une enseigne magnifique représentait une grosse tête rouge coiffée d’un turban. — Nous n’avions pas même la ressource, comme Gérard, à Montmorency, de proposer à notre hôte de lui faire une enseigne !

J’étais sur le point d’avouer naïvement notre embarras à l’hôtelier, de lui offrir mon fusil en gage, lorsque Bixio, arrêtant machinalement les yeux sur la maison en face, jeta un cri.

Il venait de lire ces mots au-dessus de trois cerceaux auxquels cliquetaient des chandelles de bois :

CARRÉ, MARCHAND ÉPICIER.

Dans les situations désespérées tout devient un événement.

Nous nous pressâmes autour de Bixio en lui demandant quelle mouche l’avait piqué.

— Écoutez, dit-il, je ne voudrais pas vous donner de fausses espérances ; mais j’ai été au collège avec un Carré qui était de Montereau. Si le bonheur voulait que le Carré que nous avons là devant les yeux fût mon Carré, je n’hésiterais pas à lui demander les quinze francs qui nous manquent.

— Pendant que tu y seras, dis-je à Bixio, demande-lui-en trente.

— Pourquoi trente ?

Tu ne comptes pas que nous nous en irons à pied, je suppose ?