éveillé par l’air apéritif du matin, commençait à réclamer sa nourriture.
Nous entendions autour de nous, comme pour railler notre misère, vingt voix qui criaient :
— Garçon ! deux côtelettes !… Garçon ! un bifteck !… Garçon ! un thé complet !
Et les garçons accouraient portant les comestibles demandés, et criaient à leur tour en passant devant nous :
— Ces messieurs ne désirent rien ? Ces messieurs ne déjeunent pas ? Ces messieurs sont les seuls qui n’ont rien demandé !
Enfin, impatienté :
— Non, répondis-je ; nous attendons quelqu’un qui doit nous rejoindre à l’escale de Fontainebleau.
Puis, me retournant vers mes compagnons de famine :
— Ma foi ! leur dis-je, messieurs, qui dort dîne : or, qui peut le plus peut le moins, je vais déjeuner en dormant.
Et je m’établis dans un coin.
J’avais déjà, à cette époque, une faculté que j’ai fort perfectionnée depuis : je dors à peu près quand je veux. À peine accoudé dans mon coin, je m’endormis.
Je ne sais depuis combien de temps je me livrais à la trompeuse illusion du sommeil, lorsqu’un garçon, s’approchant de moi, répéta trois fois en suivant une gamme ascendante :
— Monsieur ! monsieur !! monsieur !!!
Je me réveillai.
— Après ? lui dis-je.
— Monsieur a dit qu’il déjeunerait, lui et ses compagnons, avec une personne qu’il attendait à l’embarcadère de Fontainebleau.
— Ai-je dit cela ?
— Monsieur l’a dit.
— Vous en êtes sûr ?
— Oui.
— Eh bien ?
— Eh bien, alors il serait temps que monsieur commandât son déjeuner, vu que nous approchons de Fontainebleau.