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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/276

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

éveillé par l’air apéritif du matin, commençait à réclamer sa nourriture.

Nous entendions autour de nous, comme pour railler notre misère, vingt voix qui criaient :

— Garçon ! deux côtelettes !… Garçon ! un bifteck !… Garçon ! un thé complet !

Et les garçons accouraient portant les comestibles demandés, et criaient à leur tour en passant devant nous :

— Ces messieurs ne désirent rien ? Ces messieurs ne déjeunent pas ? Ces messieurs sont les seuls qui n’ont rien demandé !

Enfin, impatienté :

— Non, répondis-je ; nous attendons quelqu’un qui doit nous rejoindre à l’escale de Fontainebleau.

Puis, me retournant vers mes compagnons de famine :

— Ma foi ! leur dis-je, messieurs, qui dort dîne : or, qui peut le plus peut le moins, je vais déjeuner en dormant.

Et je m’établis dans un coin.

J’avais déjà, à cette époque, une faculté que j’ai fort perfectionnée depuis : je dors à peu près quand je veux. À peine accoudé dans mon coin, je m’endormis.

Je ne sais depuis combien de temps je me livrais à la trompeuse illusion du sommeil, lorsqu’un garçon, s’approchant de moi, répéta trois fois en suivant une gamme ascendante :

— Monsieur ! monsieur !! monsieur !!!

Je me réveillai.

— Après ? lui dis-je.

— Monsieur a dit qu’il déjeunerait, lui et ses compagnons, avec une personne qu’il attendait à l’embarcadère de Fontainebleau.

— Ai-je dit cela ?

— Monsieur l’a dit.

— Vous en êtes sûr ?

— Oui.

— Eh bien ?

— Eh bien, alors il serait temps que monsieur commandât son déjeuner, vu que nous approchons de Fontainebleau.