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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/6

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

enfance au bord de la mer, écoutant le bruit de l’Océan, suivant les vagues, qui vont se perdre aux horizons infinis, et qui reviennent éternellement se briser contre la falaise comme la vague humaine revient éternellement se briser contre la fatalité. Il conservait, je me le rappelle, — car un coin de mon existence a touché à celle de l’auteur des Paroles d’un croyant, — il conservait, dis-je, de ce premier âge de l’enfant, des souvenirs à la fois vifs et lumineux, qu’il rattachait à la nature vaste et sévère de sa chère Bretagne.

— J’entends encore, nous disait-il à un dîner dont les principaux convives étaient lui, l’abbé Lacordaire, M. de Montalembert, Listz et moi, j’entends encore le cri de certains oiseaux de mer qui passaient au-dessus de ma tête en aboyant.

Quelques-uns de ces rochers qui regardent en pitié, depuis tant de siècles, mourir à leur pied le flot colère et impuissant, sont peuplés d’antiques légendes. M. de la Mennais a raconté une de ces légendes dans une Voix de prison : c’est celle d’une jeune fille qui, surprise par la marée au milieu des récifs, attache ses cheveux aux branches et aux herbes marines pour ne point être entraînée, par le mouvement des vagues, loin de son pays natal.

La jeunesse de M. de la Mennais avait été orageuse et indisciplinée. Il aimait les exercices du corps, la chasse, l’escrime, la course, l’équitation ; c’étaient de singulières tendances vers l’état ecclésiastique ! Aussi ne fut-ce pas de lui-même et de son propre mouvement, mais poussé par les familles nobles du pays, qu’il entra dans les ordres. De son côté, l’évêque du diocèse, qui distinguait dans le jeune homme une suprême intelligence, un caractère altier, un penchant à la rêverie et à la réflexion, l’attira vers lui par toute sorte de séductions. On lui épargna les épreuves du séminaire, auxquelles son humeur insoumise se serait peut-être refusée ; mais, prêtre, M. de la Mennais n’en continua pas moins à monter les chevaux les plus fougueux de la ville, et à faire des armes. On était alors sous l’Empire, régime de gloire et de despotisme, froissant les fibres sensibles du jeune prêtre, esprit farouche, cœur royaliste. La Bretagne se souvenait de ses