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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

princes exilés, et la famille de M. de la Mennais était une de ces familles qui gardent fidèlement le culte du passé ; non que cette famille fût de noblesse ancienne : le chef de la maison était un armateur qui s’était enrichi dans des voyages de long cours, et qui avait été anobli, vers la fin du dernier siècle, pour des services rendus à la ville de Saint-Malo.

L’Empire était tombé, et M. de la Mennais, jetant un coup d’œil sur cette ruine gigantesque, écrivait en 1815 :

« Les guerres d’extermination renaissaient ; le despotisme calculait ses dépenses en hommes, comme on suppute le revenu d’une terre ; on fauchait les générations comme l’herbe, et les peuples, journellement vendus, achetés, échangés, donnés comme de vils troupeaux, ignoraient même souvent de qui ils étaient la propriété, tant une politique monstrueuse multipliait ces indignes transactions ! On mettait les nations entières en circulation comme des pièces de monnaie ! »

Professer ces principes, c’était se tourner naturellement vers la Restauration, cette aurore sans soleil. Il ne faut pas oublier, au reste, qu’alors toute la jeune littérature était prise par cet enivrement des souvenirs monarchiques. Les poëtes sont comme les femmes, — je ne sais même plus qui a dit que les poëtes étaient des femmes : — ils fêtent le malheur heureux. Cet enthousiasme pour la personne du roi était partagé à des degrés différents, même par des hommes dont le nom se rattacha plus tard au libéralisme. Dieu sait pourtant si jamais roi fut moins fait que Louis XVIII pour provoquer l’attendrissement et l’idolâtrie ! Cela n’empêchait pas Casimir Delavigne de s’écrier :

Henri, divin Henri, toi qui fus grand et bon,
Qui chassas l’Espagnol, et finis nos misères,
Les partis sont d’accord en prononçant ton nom ;
Henri, de tes enfants fais un peuple de frères !
Ton image déjà semble nous protéger :
Tu renais ! avec toi renaît l’indépendance !