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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/60

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Jusqu’à ce que sur notre vie
Le diable tire le rideau,
Foin de l’autel et du bedeau !

» Et ses compagnons reprenaient ce refrain en chœur, au bruit de leurs chaînes entre-choquées.
» Ce que voyant celui qui est, il étendit les mains sur l’appareil redoutable. Il se fit un silence profond, et il dit :
» — Mon cœur, océan de vie, de douleur et d’amour, est la grande coupe de la nouvelle alliance où sont tombés les larmes, la sueur et le sang ; et, par les larmes qui ont arrosé, par la sueur qui a pétri, par le sang qui a fécondé, forçats et suppliciés, mes frères, soyez bénis ! et espérez ! l’heure de la révélation est proche !
» — Eh quoi ! m’écriai-je avec épouvante, viens-tu prêcher le poignard ?
» — Je ne viens point prêcher le poignard ; je viens en donner le mot.
» … Et celui qui est reprit :
» — Les passions sont comme les douze grandes tables de la loi des lois, amour : elles sont, en harmonie, la source de tous les biens ; en subversion, la source de tous les maux.
» Le silence se fit, et il ajouta :
» — Chaque tête qui tombe est une lettre d’un verbe encore incompris dont le premier mot est protestation ; le dernier, expansion passionnelle intégrale. La hache est un briquet ; la tête du supplicié, une pierre ; le sang qui en jaillit, l’étincelle ; et la société, une poudrière !
» Le silence se fit, et il ajouta pour la troisième fois :
» — La cour d’assises est le thermomètre de la fausseté de l’institution sociale !
» Le silence se fit, et pour la quatrième fois il ajouta :
» — Le bagne est aux sociétés modernes ce qu’était le cirque à l’ancienne Rome : l’esclave mourait pour la liberté individuelle ; aujourd’hui, le forçat meurt pour la liberté intégrale passionnelle.
» Et tout rentra dans le silence ; et, peu de temps après, à