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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/78

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

sous la Restauration ; les-souscripteurs du Voltaire-Touquet, les acheteurs des tabatières à la Charte.

Arago sentit que le moment était bon, que cette irritation et ce grondement pouvaient devenir quelque chose.

Rien n’était organisé comme conspiration à cette époque ; mais le parti républicain était à l’affût, et s’apprêtait à profiter de toutes les occasions. Nous verrons éclater cette vérité à propos de l’enterrement de Lamarque.

Arago s’élança hors de l’église, monta sur un barreau transversal de la grille, et s’écria, en étendant la main vers les tombes de juillet, qui s’élevaient en face du portail de Saint-Germain-l’Auxerrois :

— Citoyens ! à cinquante pas des victimes de juillet, on ose célébrer un service funèbre en l’honneur d’un des membres de la famille que nous venons de chasser ! Laisserez-vous achever ce service ?

Des cris forcenés retentirent.

— Non ! non ! non ! répétèrent toutes les voix.

Et l’on se précipita dans l’église.

Les assaillants rencontrèrent sous le portail le général Jacqueminot, alors chef ou sous-chef d’état-major de la garde nationale ; — je ne sais plus bien, et la chose ne vaut pas la peine que je m’en informe. — Il essaya de lutter contre le torrent. Le torrent était trop fort pour être arrêté par un homme ; le général le sentit, et voulut l’arrêter par une parole. Une parole, si elle est juste, courageuse ou sympathique, est la digue la plus sûre que l’on puisse opposer à ce cinquième élément qu’on appelle le peuple.

— Mes amis, s’écria le général, écoutez-moi et reconnaissez-moi… J’étais à Rambouillet ; je suis donc des vôtres.

— Vous étiez à Rambouillet ? lui cria une voix.

— Oui.

— Eh bien, vous eussiez mieux fait de rester à Paris et d’y laisser les combattants de juillet : on n’eût pas profité de leur absence pour faire un roi !

La riposte était mortelle. Le général Jacqueminot se tint pour mort, et ne donna plus signe de vie.