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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/86

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

mollesse d’exécution qui dit : « Si vous n’avez rien de mieux à faire, venez, et vous serez mal reçus ! »

Aussi, comme la garde nationale commençait à comprendre la langue des tambours, ne se dérangeait-elle que médiocrement.

Toutefois, un détachement de la douzième légion, commandé par François Arago, l’illustre savant, le noble patriote qui se meurt en ce moment-ci et dont l’Académie n’osera probablement faire l’éloge que comme savant ; — un détachement de la deuxième légion, disons-nous, descendait du Panthéon vers la Cité. Le malheur voulut que son adjudant, qui marchait sur le flanc, son sabre à la main, gesticulât avec une énergie qu’excusait la circonstance, et que, en gesticulant, il atteignît de son sabre un pauvre diable qui le regardait passer fort tranquillement. Le pauvre diable tomba blessé, et fût relevé à peu près mort. Nous savons comment cela se pratique en pareille occasion : le mort ou le blessé ne s’appartient plus ; il appartient à la foule, qui en fait un drapeau. La foule s’empara de l’homme tout sanglant, et se mit à crier :

Aux armes ! vengeance sur l’assassin ! vengeance !

L’assassin ou plutôt le meurtrier involontaire avait disparu. On porta la victime sur le parvis Notre-Dame ; là, tout le monde songeait fort à la plaindre ou à la venger, mais nul ne songeait à lui porter secours. Ce fut François Arago qui, faisant au milieu des cris de menace un appel à l’humanité, montra l’Hôtel-Dieu, ouvert pour recevoir, et, s’il était possible, pour guérir le mourant. On posa celui-ci sur une civière, et François Arago accompagna le malheureux jusqu’au lit où, à peine déposé, il expira.

Le bruit de cette mort s’était répandu avec l’effrayante rapidité des mauvaises nouvelles : Quand Arago reparut, la foule tournait sérieusement à la colère ; elle était dans un de ces moments où, les dents et les ongles aiguisés, elle ne demande pas mieux que de déchirer et de dévorer… qui ? Dans ces moments-là, peu lui importe, pourvu qu’elle déchire et dévore quelqu’un ou quelque chose ! si bien que, lorsque Fran-