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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/9

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Dieu, c’est que les uns étaient sincères dans leur jeune et aveugle enthousiasme, tandis que l’autre, disons-le, ne l’était pas. On pardonne un mensonge politique, mais on ne pardonne pas un consciencieux retour sur soi-même et sur les folles illusions de la pitié généreuse. Dans la pitié généreuse que l’on portait, alors, à la famille des Bourbons, il y avait une larme pour Marie-Antoinette et une larme pour Louis XVII.

M. de la Mennais hésita un instant sur sa vocation littéraire, ou, du moins, sur la direction qu’il lui donnerait. La solitude dans laquelle il avait vécu, au bord de la mer, avait peuplé son âme de rêves flottants comme ces beaux nuages qu’il avait si souvent suivis des yeux dans les profondeurs du ciel. Peu s’en fallut qu’il n’écrivit des romans et des œuvres d’imagination ; il lui arriva même de faire des vers que, bien entendu, il ne publia jamais.

En voici deux qui entraient, autant que je puis me le rappeler, dans le portrait de la théologie scolastique :

Elle avait deux grands yeux stupidement ouverts,
Dont l’un ne voyait pas ou voyait de travers !

M. de la Mennais devint donc écrivain religieux et philosophe plutôt par état que par inclination. Son goût, nous assurait-il dans ses heures d’épanchement, dont nous avons gardé un souvenir de respect et de fierté, son goût l’aurait entraîné de préférence vers la poésie en prose, que Bernardin de Saint-Pierre avait mise à la mode dans Paul et Virginie, et Châteaubriand dans René.

Il se recueillit pourtant, et, d’un doigt que dirigeait l’implacable génie de l’observateur, il toucha la plaie de son siècle : l’indifférence en matière de religion. Certes, le cri poussé par ce sombre oiseau des tempêtes : « Les dieux s’en vont ! les dieux s’en vont ! » avait, alors, lieu de surprendre les dévots et les hommes d’État ; les églises n’étaient-elles pas remplies de missions, et les grands chemins couverts de missionnaires ? N’y avait-il pas la croix de Migné, les miracles du