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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 9.djvu/11

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Faisons un pas en arrière, et retournons à la soirée du 21 novembre, à une heure du matin, dans la loge de Nourrit, qui venait, grâce à une trappe mal équipée, de faire une chute dans le premier dessous de l’Opéra.

On avait donné la première représentation de Robert le Diable.

Ce serait une chose curieuse à écrire que l’histoire de ce grand opéra, qui, à peu près tombé à la première représentation, en compte aujourd’hui plus de quatre cents, et qui se trouve être le doyen de tous les opéras nés et probablement à naître.

D’abord, Véron, qui était passé de la direction de la Revue de Paris à celle de l’Opéra, avait, dès la première audition de l’œuvre de Meyerbeer, — en pleine répétition, lors de son entrée au théâtre de la rue Lepeletier, — déclaré qu’il trouvait la partition détestable, et qu’il ne la jouerait que contraint et forcé, ou moyennant suffisante indemnité.

Le gouvernement, qui venait de faire, à propos de cette nouvelle direction, un des plus scandaleux traités qui aient jamais existé ; le gouvernement, qui donnait, à cette époque, neuf cent mille francs de subvention à l’Opéra, le gouvernement trouva la demande de Véron toute naturelle ; et, convaincu comme lui que la musique de Robert le Diable était d’exécrable musique, donna à son directeur bien-aimé soixante ou quatre-vingt mille francs d’indemnité, pour jouer un ouvrage qui est entré au moins pour un tiers dans les cinquante ou soixante mille francs de rente que Véron possède aujourd’hui.

Cette petite anecdote prouve-t-elle que la tradition de mettre à l’Opéra un homme qui ne se connaisse pas en musique remonte à une époque antérieure à la nomination de Nestor Roqueplan, — qui, dans ses lettres à Jules Janin, s’est vanté de ne pas savoir la valeur d’une ronde, ni la portée d’un bécarre ? Non, cela prouve que Véron est un spéculateur d’infiniment d’esprit, et que son refus de jouer l’opéra de Meyerbeer était une habile spéculation.

Maintenant, Véron préfère-t-il que nous disions qu’il ne se