Page:Dumas - Mes mémoires, tome 9.djvu/15

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
12
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

était déjà affaiblie, que Meyerbeer avait mis si peu de chant dans le rôle de Robert.

Nourrit était désespéré, non pas de sa chute, mais de celle de la pièce. Comme tout le monde, il croyait l’ouvrage tombé.

Meyerbeer lui-même était assez mélancolique. Nourrit nous présenta l’un à l’autre. C’est de ce soir-là que date notre connaissance.

C’est un homme de beaucoup d’esprit que Meyerbeer ; il a d’abord celui de mettre une immense fortune au profit d’une immense réputation. Seulement, il n’a pas fait sa fortune avec sa réputation, et l’on pourrait presque dire qu’il a fait sa réputation avec sa fortune.

Jamais Meyerbeer, — qu’il soit seul ou en société, en France ou en Allemagne, à la table de l’hôtel des Princes ou au casino de Spa, — jamais Meyerbeer n’est distrait un instant de son but, et son but, c’est le succès. Bien certainement, Meyerbeer se donne plus de mal à faire ses succès qu’à faire ses partitions.

Nous disons cela parce qu’il nous semble qu’il y a double emploi : Meyerbeer pourrait laisser ses partitions faire leur succès elles-mêmes ; nous y gagnerions un opéra sur trois.

J’admire d’autant plus cette qualité de l’homme tenace, que cette qualité me manque entièrement. J’ai toujours laissé les directeurs faire leur ménage et le mien, les jours de première représentation ; — et, le lendemain, ma foi ! dise qui voudra du bien, dise qui voudra du mal ! Il y a vingt-cinq ans que je fais du théâtre, vingt-cinq ans que je fais des livres : je défie qu’un seul directeur de journal déclare m’avoir vu dans son bureau, pour lui demander une réclame d’une ligne.

Cette insouciance fait peut-être ma force.

Dans les cinq ou six dernières années qui viennent de s’écouler, une fois mes pièces mises en scène avec tous les soins et toute l’intelligence dont je suis capable, il m’est arrivé souvent de ne pas aller, le soir, à une première représentation de moi, et d’attendre, pour en savoir quelque chose, les nouvelles que m’apportaient ceux qui, plus curieux que moi, y avaient assisté.