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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 9.djvu/23

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

rôme ; ce ne sont pas vos meilleurs, mon cher Horace ! — Au reste, ils lui sont payés seize mille francs. C’est la première somme un peu ronde qu’il touche ; c’est la première sur laquelle il met quelque chose de côté.

Puis arrivent 1812, 1813, 1814, la chute de tout le grand édifice napoléonien. Le monde tremble sur sa base : l’Europe n’est plus qu’un volcan ; la société semble dissoute. Plus de peinture, plus de littérature, plus d’art !

Devinez ce que fait Vernet, qui ne trouve de ses tableaux, non plus huit mille francs, non plus quatre mille, non plus mille, non plus cinq cents, non plus cent, non plus même cinquante !

Vernet fait des dessins pour le Journal des Modes ; — trois pour cent francs : 33 fr. 33 c. la pièce !

Un jour, il me montrait tous ces dessins, dont il a gardé la collection ; j’en ai compté près de quinze cents avec un attendrissement profond. Les 33 fr. 33 c. me rappelaient mes 166 fr. 65 c., — le plus haut chiffre qu’aient jamais atteint mes appointements.

Vernet était un enfant de la Révolution ; mais le jeune homme n’avait connu que l’Empire. Ardent bonapartiste en 1815, plus ardent peut-être en 1816, il donna force coups d’épée et force coups de pinceau en l’honneur de Napoléon, le tout le plus en cachette possible.

En 1818, le duc d’Orléans eut l’idée de commander des tableaux à Vernet. La proposition fut transmise au peintre de la part du prince.

— Volontiers, dit le peintre, mais à la condition que ce seront des tableaux militaires…

Le prince accepta.

— Que ces tableaux, ajouta le peintre, seront du temps de la République et de l’Empire…

Le prince accepta encore.

— Enfin, ajouta le peintre, à la condition que les soldats de l’Empire et de la Révolution porteront des cocardes tricolores. — Dites à M. Vernet, répondit alors le prince, qu’il mettra la première cocarde à mon chapeau.