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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 9.djvu/24

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Et, en effet, le duc d’Orléans décida que le premier tableau qu’exécuterait pour lui Vernet le représenterait en colonel de dragons, sauvant un pauvre prêtre réfractaire : bonne fortune qu’avait eue le prince en 1792.

Horace Vernet fit le tableau, et eut le plaisir de mettre ostensiblement la première cocarde tricolore à un casque.

Vers ce temps, le duc de Berry voulut absolument visiter à son tour l’atelier du peintre, dont la réputation grandissait avec la rapidité du géant Adamastor. Mais Vernet n’aimait point les Bourbons, surtout ceux de la branche aînée. — Avec le duc d’Orléans, cela allait encore : il avait été jacobin.

Horace refusa l’entrée de son atelier au fils de Charles X.

— Eh ! mon Dieu ! dit le duc de Berry, s’il ne s’agit, pour être reçu de M. Vernet que de mettre une cocarde tricolore, dites à M. Vernet que, quoique je ne porte pas dans mon cœur les couleurs de M. Laffitte, je les placerai, s’il le faut, à mon chapeau le jour où je me présenterai chez lui.

La proposition n’eut pas de suites, soit que le peintre n’eût point accepté, soit que, le peintre ayant accepté, le prince ne voulût plus se soumettre à cette exigence.

En moins de dix-huit mois, Vernet fit pour le duc d’Orléans — la condition des cocardes tricolores toujours respectée — cette belle série de tableaux qui sont ses meilleurs : Montmirail, où il mit plus que des cocardes tricolores, où il mit l’empereur lui-même passant à l’horizon sur son cheval blanc ; Hanau, Jemmapes et Valmy.

Mais toutes ces cocardes tricolores qui fleurissaient sur les toiles d’Horace comme des coquelicots, des bluets et des marguerites dans un pré, et surtout ce maudit cheval blanc, quoiqu’il ne fût pas plus gros qu’une tête d’épingle, effrayèrent le gouvernement de Louis XVIII. L’exposition de 1821 refusa les tableaux d’Horace Vernet.

L’artiste fit une exposition chez lui, et eut à lui seul plus de succès que les deux mille peintres qui avaient exposé au salon.

Ce fut le moment de sa grande popularité. Nul ne se fût permis à cette époque, même ses ennemis, de contester son