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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Il en résulte que le drame se trouve comme l’Académie, grand, non point par ce qu’il a, mais par ce qui lui manque.

Puis, quoique, chez l’un comme chez l’autre, les convictions ou, si l’on veut, les préjugés aillent au delà de l’obstination, et touchent à l’entêtement, Delaroche, étant le plus fort des deux, cède rarement, mais cède quelquefois ; Casimir, jamais !

Un exemple :

J’ai dit que chaque grand artiste avait, dans un art voisin, son analogue qui le côtoie ; j’ai dit que Delaroche ressemblait à Casimir Delavigne. J’insiste.

Cela est si vrai, que Victor Hugo et Delacroix, les deux talents les moins académiques qu’il y ait au monde, ont eu tous deux l’ambition d’être de l’Académie. Tous deux se sont mis sur les rangs : Hugo, cinq fois ; Delacroix, dix, douze, quinze… Je ne compte plus.

Eh bien, on se rappelle ce que j’ai raconté ; ou plutôt, de peur qu’on ne se le rappelle pas, je vais le redire.

À l’une des vacances académiques, je pris sur moi de faire pour Hugo quelques visites à des académiciens de mes amis.

Une de ces visites fut dirigée vers les Menus-Plaisirs, où Casimir Delavigne avait un logement.

J’ai déjà dit que j’aimais beaucoup Casimir Delavigne, et que Casimir Delavigne m’aimait beaucoup.

Peut-être s’étonnera-t-on qu’aimant beaucoup Casimir Delavigne, et me vantant d’être aimé de lui, je dise du mal de Casimir Delavigne.

D’abord, je ne dis pas de mal du talent, je dis la vérité sur le talent de Casimir Delavigne. Cela ne m’empêche pas d’aimer la personne de Casimir.

Je dis du bien du talent de M. Delaroche ; cela prouve-t-il que j’aime M. Delaroche ? Non, je n’aime pas M. Delaroche ; mais mon amitié pour l’un, et mon peu de sympathie pour l’autre n’influent pas sur l’opinion que j’ai de leur talent.

Je n’ai ni à me plaindre ni à me louer de leur talent, et je puis avoir à me louer ou à me plaindre des individus.