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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 9.djvu/34

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Je laisse toutes ces misères de côté, et je juge les œuvres.

Cela expliqué, je reviens à Casimir Delavigne, qui m’aimait un peu, et que j’aimais beaucoup. J’avais résolu de mettre cette amitié-là au service d’Hugo, que j’aimais et que j’aime encore bien autrement, parce que l’admiration entre au moins pour les deux tiers dans mon amitié pour Hugo, tandis que je n’admirais point Casimir Delavigne.

J’allai donc trouver Casimir Delavigne. J’employai toutes les câlineries de mon amitié, tous les arguments de ma raison pour le déterminer à donner sa voix à Hugo. — Il refusa obstinément, cruellement et, ce qui est pis, maladroitement.

Il eût été si adroit à Casimir Delavigne de donner sa voix à Hugo !

Il ne la lui donna point.

C’est que l’adresse, chez Casimir Delavigne, était une qualité acquise, et non un don naturel.

Casimir donna sa voix — à qui ? je n’en sais plus rien. À M. Dupaty, à M. Flourens, à M. Vatout.

Eh bien, écoutez ceci.

Même situation se présente pour Delacroix faisant ses visites que pour Hugo se mettant sur les rangs.

Une première fois, une seconde fois, Delaroche refusa sa voix à Delacroix.

Robert Fleury, — vous savez, cet excellent peintre des situations douloureuses, des agonies suprêmes, si bien placé pour être un appréciateur impartial de Delacroix et de Delaroche ? — eh bien, Robert Fleury alla trouver Delaroche, et fit près de lui ce que j’avais fait près de Casimir Delavigne, c’est-à-dire qu’il pria, supplia Delaroche de donner sa voix à Delacroix.

Delaroche refusa d’abord avec des crispations de terreur, avec des cris d’indignation ; il mit Robert Fleury à la porte.

Mais, quand il fut resté seul, sa conscience lui parla tout bas d’abord, puis à demi-voix, puis tout haut ; il essaya de lutter : sa conscience grandissait incessamment comme l’ombre de la fiancée de Messine !

Il envoya chercher Fleury.