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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 9.djvu/68

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Bocage était superbe.

Il était arrivé un malheur au protégé de mon fils : le manque d’habitude de la scène avait forcé Guyon à quitter le rôle de Paolo, pour faire de nouvelles études dramatiques. Féréol l’avait repris ; on lui avait ajouté je ne sais quelle barcarolle qu’il chantait en acteur, tandis qu’il jouait le reste de son rôle en chanteur.

Alexandre se retrouvait avec deux pions au lieu d’un !

On leva la toile sur le quatrième acte. À partir de ce moment, la pièce était sauvée : c’est au quatrième acte que se trouvent et la scène des lettres entre le père et la fille, et la scène de provocation entre le beau-père et le gendre. Ces deux scènes sont très-belles et produisent un grand effet.

Le quatrième acte eut un succès étourdissant.

Ordinairement, le succès d’un quatrième acte entraîne celui du cinquième. La première moitié du cinquième acte de Teresa est, d’ailleurs, remarquable ; c’est la scène d’excuses du vieillard au jeune homme. Cela ne devient réellement mauvais que lorsque Teresa demande du poison à Paolo. Tout ce tripotage entre cette femme adultère et ce laquais amoureux est vulgaire, et n’a pas le mérite d’amener une véritable terreur. Mais l’impression du quatrième acte et de la première moitié du cinquième fut si vive, qu’elle étendit son influence sur la défectuosité du dénoûment.

En somme, c’était un grand succès suffisant comme amour-propre, insuffisant comme art.

Bocage avait eu des moments d’une véritable grandeur. Je lui en fis, à cette époque-là, mon compliment bien sincère. Il avait grandi comme comédien, et ce fut, à mon avis, le moment de l’apogée de sa carrière dramatique.

Je le crois, ainsi que moi, un peu revenu de toutes les illusions du jeune âge ; je lui dirai donc, avec toute franchise, à quel moment, à mon avis, il fit fausse route, et adopta le système fatal des tremblements nerveux, sous l’empire desquels il est encore aujourd’hui.

Quand la première vogue de Teresa fut passée, on me fit proposition de remettre la pièce en trois actes, pour