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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

qu’elle pût devenir une pièce de répertoire ; Je m’y refusai ; d’une pièce défectueuse, je ne voulais pas faire une pièce mutilée. Anicet, qui avait dans l’ouvrage un intérêt de moitié, insista tellement, que je l’invitai à faire l’opération lui-même. Il s’y mit bravement, tailla, coupa, trancha, et, un jour, je fus invité, je ne sais par quel artiste qui débutait dans le rôle d’Arthur, à aller voir la pièce réduite en trois actes.

J’y allai, et je la trouvai plus détestable et surtout, chose singulière ! plus longue que la première fois.

C’est que la longueur n’existe pas au théâtre, matériellement parlant. Il n’y a pas de pièces longues, il n’y a pas de pièces courtes ; il y a des pièces amusantes et des pièces ennuyeuses. Le Mariage de Figaro, qui dure cinq heures, est moins long que l’Épreuve nouvelle, qui dure une heure.

Les développements de Teresa enlevés, la pièce avait perdu de son intérêt artistique, et, étant devenue plus ennuyeuse, semblait être devenue plus longue.

Un jour, Cordelier Delanoue vint chez moi, l’oreille basse.

— Qu’as-tu ? lui demandai-je.

— Je viens de lire au Théâtre-Français.

— Quoi ?

— Un drame en trois actes, en vers.

— Intitulé ?

— Mathieu Luc.

— Et ils t’ont refusé ?

— Non, ils m’ont reçu à corrections.

— T’ont-ils indiqué les corrections ?

— Oui : la pièce est trop longue.

— Et ils demandent des coupures ?

— Justement ! et je viens te lire tout cela.

— Pour que je te les indique ?

— Oui.

— Lis !

Delanoue se met à lire ses trois actes. Je suis la pièce avec la plus grande attention ; je trouve pendant qu’il lit, un pivot d’intérêt sur lequel la pièce peut avantageusement tourner, et près duquel il était passé sans le voir.