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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 9.djvu/74

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Nous devions faire la route dans une immense berline dont je me trouvais propriétaire, je ne sais plus comment.

Les choses arrêtées furent mises de point en point à exécution.

Nous partîmes vers neuf ou dix heures du matin.

Nous comptions être arrivés de six à sept heures du soir ; mais la neige nous prit au tiers du chemin, et, au lieu d’arriver à sept heures du soir, nous arrivâmes à minuit, n’ayant eu pour mous réchauffer tout le long de la route que l’intarissable verve et le charmant esprit de CGhampagny, auxquels se joignit, comme accompagnement, le bruit d’une trompette de fer-blanc qu’il avait, je ne sais à quel propos, achetée je ne sais où, et dont le son fantastique avait le privilège de nous faire éclater de rire.

En arrivant, nous trouvâmes naturellement tout le monde couché ; à la Ferté-Vidame, on se couche à dix heures l’été, et à huit heures l’hiver. Nous mîmes pied à terre sur un magnifique tapis de neige qui me rappelait les chasses aux loups de ma jeunesse, avec M. Deviolaine et les gardes, mes vieux amis.

Que de choses s’étaient passées entre les neiges de 1817 et les neiges de 1832, et s’étaient fondues comme elles !

Nous avions, du reste, l’air de frapper aux communs du château de la Belle au bois dormant : personne ne nous répondait, et, comme nous nous sentions engourdir de plus en plus, je parlais déjà de dévisser la porte de l’auberge, comme j’avais fait à la maison de campagne de M. Dupont-Delporte, lorsque, de l’autre côté de l’huis, j’entendis la voix de mon neveu.

Il avait juste — pauvre garçon, mort depuis ! — l’âge que j’avais moi-même lorsque autrefois une chasse m’empêchait de dormir.

À moitié réveillé par le plaisir qu’il se promettait à la chasse du lendemain, il se réveilla complètement au tapage que nous faisions, à nos cris désespérés, et surtout au son de la trompette de Champagny. Il s’efforçait à l’intérieur, comme nous à l’extérieur, de faire sortir les hôteliers de leur lit.