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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 9.djvu/75

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Enfin, tout maussade, tout grognant, tout quinteux, un homme se leva, en adjurant Dieu pour savoir si c’était là une heure à réveiller d’honnêtes gens.

La porte s’ouvrit ; la mauvaise humeur de l’hôte se calma un peu, quand il vit que nous étions venus en poste ! cela lui donnait le droit de mettre le dérangement nocturne sur la carte ; dès lors, nous fûmes les bien reçus.

Mon beau-frère n’avait pas pu venir. Émile, mon neveu, était seul, et il avait naturellement pris, en vertu de son droit de premier arrivé, la plus belle chambre de la maison.

Il lui fut immédiatement signifié qu’étant à l’âge où l’on mange le pilon des poulets et la souris du gigot, il était naturellement aussi à l’âge où l’on prend les lits de sangle et les chambres froides.

La sienne avait une cheminée magnifique dans laquelle brûlait un reste de feu que j’alimentai avec la conscience d’une vestale, jusqu’au moment où l’on apporta une charge de bois.

La chambre était grande ; on tint conseil, et il fut résolu à l’unanimité que l’on apporterait les matelas des petites chambres dans la grande, qu’on les rangerait symétriquement contre la muraille, et que l’on coucherait en compagnie.

Émile réclama deux choses : l’honneur de cette compagnie, et le droit de mettre à terre son matelas tout garni. — Il avait laissé dans ses draps une provision de chaleur qu’il ne voulait pas perdre.

Ces premiers arrangements pris, on procéda au souper. Tout le monde mourait littéralement de faim. Littéralement encore, il n’y avait rien à manger dans l’auberge.

On alla visiter le poulailler : les poules avaient eu l’obligeance de pondre une vingtaine d’œufs. Cela faisait quatre œufs pour chacun ; chacun eut un œuf à la coque, deux œufs en omelette, et un œuf en salade. Pain et vin à discrétion.

Jamais, je crois, nous ne soupâmes plus gaiement, et ne dormîmes mieux.

Au jour, nous fûmes éveillés par Gondon. Il arrivait, tout