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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

les fenêtres avec des journaux. Puis Escousse se mit à une table, et écrivit la note suivante :

« Escousse s’est tué parce qu’il ne se sentait pas à sa place ici-bas ; parce que la force lui manquait, à chaque pas qu’il faisait en avant ou en arrière ; parce que la gloire ne dominait pas assez son âme, si âme il y a !

» Je désire que l’épigraphe de mon livre soit :

» Adieu, trop inféconde terre,
Fléaux humains, soleil glacé !
Comme un fantôme solitaire,
Inaperçu j’aurai passé.
Adieu, les palmes immortelles,
Vrai songe d’une âme de feu !
L’air manquait : j’ai fermé mes ailes.
Adieu ! »

Cela, comme nous l’avons dit, se passait à onze heures et demie. À minuit, madame Adolphe, qui venait de jouer au théâtre de la Porte-Saint-Martin, rentra chez elle ; elle logeait sur le même palier qu’Escousse, et l’appartement du jeune homme n’était séparé du sien que par une cloison. Un bruit étrange lui parut venir de cet appartement. Elle écouta : un double râle se faisait entendre. Elle appela, elle frappa à la cloison, mais n’obtint aucune réponse.

Le père d’Escousse logeait aussi sur le même palier, où s’ouvraient quatre portes : ces quatre portes étaient celle d’Escousse, celle de son père, celle de madame Adolphe, et celle de Walter, artiste que j’ai beaucoup connu à cette époque, et que j’ai perdu de vue depuis.

Madame Adolphe courut chez le père d’Escousse, le réveilla, — car il était déjà endormi, — le força de se lever, et de venir chez elle écouter ce râle qui l’effrayait.

Le râle décroissait, mais était encore sensible ; si sensible, qu’on entendait le funèbre accord des deux respirations.

Le père écouta quelques secondes ; puis, souriant :