En partant pour l’Italie, Clément, avec son imagination dévorante, voulait tout voir. Sa femme ne désirait voir que trois choses : madame Lætitia, qu’on appelait alors Madame mère ; le Vésuve en éruption, et Venise en carnaval.
Les deux derniers désirs s’expliquent par la curiosité ; le premier, par le sentiment : Marie Monchablon était cousine du général Leclerc, premier mari de la princesse Borghèse.
Il y avait donc parenté avec la famille Napoléon, parenté bien éloignée comme on voit ; mais on est parent de bien plus loin en Corse !
Horace Vernet était directeur de l’école de peinture à Rome.
La première visite des deux artistes devait naturellement être pour Horace Vernet ; mais, en sortant de chez Horace Vernet, on n’avait que le Monte-Pincio à traverser, la porte del Popolo à franchir, et l’on était dans la villa Borghèse.
Or, dans la villa Borghèse habitait Madame mère, que désirait tant voir madame Clément Boulanger.
Le hasard servit la jeune enthousiaste : Madame mère, dans sa promenade, passa devant elle.
Madame Clément avait bonne envie de se jeter à ses genoux ; — je conçois cela, car c’est ce que j’ai fait, moi qui ne suis pas un fanatique, quand j’ai eu l’honneur d’être reçu, à Rome, par madame Lætitia, et qu’elle m’a donné sa main à baiser.
Oh ! c’est qu’on ne peut imaginer quelles proportions antiques l’exil donnait à cette femme ! Il me semblait voir la mère d’Alexandre, de César ou de Charlemagne.
Madame Lætitia avait regardé les deux jeunes gens, et leur avait souri comme la vieillesse sourit à la jeunesse, comme le couchant sourit à l’orient, comme la bonté sourit à la beauté. Madame Clément revint chez elle ivre de joie.
Le soir, elle était invitée au palais Ruspoli, chez madame Lacroix ; toute joyeuse encore, et sans savoir qu’elle parlait devint le secrétaire de Madame mère :
— Ah ! dit-elle, je puis quitter Rome, ce soir.
— Comment cela ? Vous êtes arrivée ce matin !
— J’ai vu ce que je voulais voir.