Aller au contenu

Page:Eekhoud - Les Pittoresques, 1879.djvu/190

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
154
La Guigne

Elle rit aux éclats, à pleines dents d’émail.
Le Veloureux ramait : c’était son seul travail
Depuis longtemps. Ce soir aussi c’était pour elle !

Il ramait en cadence et toujours loin du bord.
La nuit était splendide. Une lune d’opale
Sur la moire du fleuve agitait son front pâle.
L’eau mouillant l’aviron arpégeait un accord
En retombant dans l’onde, et les fanaux du port
Se faisaient plus petits après chaque intervalle.

La Guigne fredonnait de gaillardes chansons,
Et la barque glissait toujours sous les étoiles.
« Depuis quelques instants nous croisons moins de voiles,
Dit Gaston ; il est tard. — Qu’importe ? Dépassons
Les limites du port ; allons loin. Harassons
Les bras de ce rameur jusqu’au sang, jusqu’aux moelles. »

Puis elle gouvernait sans songer au retour.
Une femme jamais n’avait été si belle !
Le Veloureux suivait l’harmonieux contour
De ce corps ravissant aux membres de gazelle,
Cette taille, ce buse svelte de demoiselle
Se tordant sous la main avide de l’amour.