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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/107

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— Cela ne fait rien ! Eussiez-vous réellement besoin d’argent, que la conclusion aurait été la même : nous devions nous rencontrer. Mais, êtes-vous riche ?

— Riche ? non ! Je le suis cependant, si l’on peut dire riche celui qui possède plus qu’il n’a besoin pour lui-même.

— Je désirerais que votre vie fût libre, reprit Mordecai comme s’il rêvait ; la mienne a été un esclavage.

Il était clair qu’il n’avait aucun intérêt dans le fait qui avait attiré Deronda chez les Cohen. Désespérant d’amener facilement la question qu’il désirait poser, Daniel se décida à la lui faire brusquement et demanda :

— Pouvez-vous me dire pourquoi on ne doit pas parler de sa fille à madame Cohen, la mère ?

La réponse se fit attendre et il crut qu’il serait obligé de répéter sa question. Mordecai, cependant, l’avait entendue, mais il lui fallait reporter sur un sujet nouveau son esprit plongé dans sa préoccupation passionnée. Au bout d’un instant, il répondit :

— J’en connais le motif, mais je ne veux pas parler d’affaires de famille que j’ai apprises dans le secret de l’intérieur. J’habite sous leur toit comme dans un sanctuaire. Leur histoire, autant qu’elle ne peut nuire à un autre, leur appartient.

Deronda rougit en entendant cette sorte de réprimande à laquelle il n’était pas habitué. Il se sentit de plus déçu péniblement, car il avait compté sur un renseignement décisif, et, quoiqu’il eût en poche assez d’argent pour retirer sa bague, il ne voulut pas ce soir aller chez les Cohen, dans la crainte de ne plus avoir de prétexte plausible pour y revenir.

— Je vais vous quitter, dit-il avant d’arriver à la porte des Cohen.

— Quand reviendrez-vous ? lui demanda Mordecai.