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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/133

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un autre choix d’Israël pour être une nationalité dont les membres pourront encore s’étendre jusqu’aux confins de la terre, comme les fils de l’Angleterre et de l’Allemagne qui portent au loin leurs entreprises, mais qui ont toujours un foyer national et un tribunal d’opinion nationale. Dira-t-on que cela ne peut pas être ? Baruch Spinosa n’avait pas le cœur vraiment juif, quoiqu’il eût sucé la vie de son intelligence aux mamelles de la tradition juive. Il osa mettre à découvert la nudité de son père, et dit : « Ceux qui le méprisent sont sages ! » Eh bien, Baruch Spinosa a avoué qu’il ne voyait pas pourquoi Israël ne serait pas de nouveau un peuple choisi. Qui oserait dire que l’histoire et la littérature de notre race sont mortes ? Ne sont-elles pas aussi vivantes que celles de la Grèce ou de Rome, qui ont inspiré des révolutions, enflammé la pensée de l’Europe et fait trembler les pouvoirs injustes ? Elles ont été un héritage de la tombe. Les nôtres sont un héritage qui n’a jamais cessé de vibrer dans des millions de formes humaines.

Mordecai avait étendu les bras en avant et ses longues mains décharnées tremblèrent en l’air, même après qu’il eut fini de parler. Gidéon fut certainement un peu ému, car bien qu’il n’attendît pas longtemps pour faire une objection, son ton fut beaucoup plus doux et moins dédaigneux que précédemment. Pash se mordit les lèvres, prit sa tête entre ses mains et fronça le sourcil, comme quelqu’un dont l’avis diffère de celui de ses interlocuteurs, mais qui ne pense pas que ce soit la peine de le dire.

— Peut-être est-il bon, à un point de vue, d’évaluer aussi haut que tu le fais, Mordecai, nos souvenirs et notre héritage, dit Gidéon ; mais il y en a un autre. Tout n’est pas gratitude et gloire inoffensive ; notre peuple a hérité aussi d’une bonne dose de haines. Nous voyons encore autour de nous un lot assez lourd de malédictions et de rancunes dont nous avons hérité depuis les époques de per-