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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/152

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Elles seront bien agréablement surprises que tu aies pensé à elles.

— Oh ! elles sont bien insupportables, dit gaiement Gwendolen, mais maintenant elles ne m’ennuient plus.

Elle ne s’expliquait pas le sentiment qui la poussait à agir ainsi envers ses sœurs ; en tout cas, elle ne voulait pas que l’on prît au sérieux ce qu’elle venait de faire. Elle était satisfaite d’être sortie de la chambre à coucher sans donner plus de marques d’émotion et elle termina sa visite en prenant congé avec une placidité qui lui fit se dire à elle-même et d’une façon sarcastique : « Il me semble que je fais une très bonne madame Grandcourt. »

Elle s’imaginait que ce jour-là son mari était allé à Gadsmere, et l’étrange conflit de sensations qui l’agitaient avait produit l’effet caractéristique de l’envoyer à Offendene. Elle s’étonnait de ses propres contradictions. Pourquoi lui déplaisait-il que Grandcourt montrât de l’intérêt pour les êtres qui étaient cause de ses remords ? N’avait-elle pas décidé avant son mariage qu’elle parlerait et agirait en leur faveur ? Et puisque récemment il lui avait dit qu’il tenait à être à Londres pour prendre des arrangements testamentaires, elle aurait dû être satisfaite de ce que la conscience de son mari fût toujours en éveil envers les hôtes de Gadsmere ; et cependant, maintenant qu’elle était sa femme, l’idée que Grandcourt était allé à Gadsmere la brûlait comme un fer rouge. Elle ne pouvait rien reprocher qu’à elle-même ; seule, elle était cause de cette indignité, de cette humiliation d’être condamnée à un silence terrifiant, dans la crainte que son mari ne découvrît pourquoi elle l’avait épousé, et, comme elle l’avait dit à Deronda, elle était obligée de « continuer ». Après ses mouvements de haine secrète envers ce mari qui, dès le début, l’avait domptée, revenait toujours la pression spirituelle qui rendait la soumission inévitable.