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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/16

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une belle figurine en ivoire posée sur un petit guéridon. Il mourait d’envie d’aller à elle et de lui parler. Pourquoi n’obéit-il pas à cette impulsion, comme il l’aurait fait à l’égard d’une autre dame ? Il hésita un instant, tout en observant les lignes gracieuses de son dos. Si vous avez une raison quelconque pour ne pas réaliser votre désir de parler à une jolie femme, ne regardez pas son dos ; c’est un mauvais système. Le besoin de voir ce que l’on vous cache devient irrésistible. N’y a-t-il pas un charmant sourire de l’autre côté ? En fin de compte Deronda se glissa jusqu’à une petite table qui était auprès de Gwendolen ; mais, avant qu’il pût lui dresser la parole, elle se tourna vers lui, et, au lieu du sourire auquel il s’attendait, son regard exprimait une tristesse si suppliante, il différait tellement de sa tenue glaciale à table, qu’il ne put proférer un seul mot. Dans l’entretien muet qu’ils eurent ensemble alors, elle semblait vouloir se confesser et il lui répondait par une sympathie profonde qui neutralisa tout autre sentiment.

— Ne voulez-vous pas vous joindre à nous pour faire de la musique ? balbutia-t-il, sentant la nécessité de dire quelque chose.

Son changement soudain de contenance fut pour lui la preuve que son regard suppliant avait été involontaire ; elle parut se réveiller d’un songe et répondit avec un calme apparent :

— Je m’y joins en écoutant ; j’adore la musique.

— N’êtes-vous pas musicienne ?

— J’ai consacré bien du temps à la musique, mais je n’ai pas assez de talent pour seulement en parler. Je ne chanterai jamais plus.

— Mais si vous adorez la musique, ce sera toujours une bonne chose pour vous d’en faire en particulier, pour votre unique plaisir. Ma médiocrité me suffit, ajouta-t-il