Aller au contenu

Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/211

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Je méconnaissais son cœur, repartit Mordecai. Elle peut se réjouir de voir fleurir une autre plante, quoique la sienne soit desséchée.

— Ce sont de bien bonnes gens, que j’aime comme s’ils étaient nos parents, dit Mirah avec son bon sourire.

— Qu’auriez-vous éprouvé si cet Ezra avait été votre frère ? lui demanda un peu malicieusement Deronda, légèrement contrarié de la voir s’attacher si facilement à des gens, qui, à cause d’elle, lui avaient fait concevoir tant d’inquiétudes.

Mirah le regarda avec surprise et répondit :

— Ce n’est pas un méchant homme ; je ne crois pas qu’il aurait jamais abandonné personne !.. Mais à peine eut-elle prononcé ces mots, qu’elle rougit fortement, et, lançant à Mordecai un regard timide, elle se retira en prétextant quelque occupation. Elle pensait à son père, et sur ce sujet ils éprouvaient, elle et son frère, une peine mutuelle. « S’il venait et qu’il nous trouve ! » telle était la pensée qui assombrissait quelquefois la quiétude de Mirah, et elle tremblait à cette apparition imaginaire.

Deronda devina son allusion involontaire et comprit sa rougeur. Comment n’aurait-il pas sympathisé avec des sentiments, qui, maintenant plus que jamais, semblaient se rapprocher des siens ? Car la lettre de sa mère impliquait que son entrevue avec son fils ne serait pas exempte de conditions pénibles. En effet, il était assez singulier que cette lettre, qui lui montrait sa mère comme une vivante réalité, l’éloignât encore un peu plus de son amour. Il s’étonnait qu’en voyant l’écriture maternelle et les mots exprimant son sentiment actuel, son affection se fût soudainement refroidie et transformée en une sorte d’indifférence.

— Dieu te bénisse, Dan ! lui avait dit sir Hugo lorsqu’ils échangèrent la poignée de main du départ. Quels que