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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/217

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mien. C’était aussi le meilleur moyen de conquérir ma liberté. Je pouvais gouverner mon mari, mais non mon père… J’avais le droit d’être libre. J’avais le droit de chercher ma liberté hors d’un esclavage que j’abhorrais.

Elle reprit sa place sur le sofa, en serrant les lèvres comme si elle voulait s’empêcher de parler. Deronda resta debout. Après un moment de silence, elle le regarda d’un air plus doux et lui dit :

— Et l’esclavage que je haïssais pour moi, je voulus t’en préserver. Qu’aurait fait de mieux la plus tendre des mères ? Je t’ai délivré de l’esclavage d’être né juif.

— Alors je suis juif ! s’écria-t-il avec une telle énergie que sa mère en tressaillit et dut s’appuyer sur ses coussins. Mon père était juif et vous êtes juive ?

— Oui ; ton père était mon cousin, dit sa mère, frappée du changement qui s’opérait en lui, comme si elle voyait une figure dont elle avait peur.

— J’en suis heureux ! s’écria-t-il d’une voix vibrante de passion.

Il n’aurait jamais pu s’imaginer qu’il en arriverait à dire ce que, jusque-là, il n’avait pas admis. Il ne pouvait pas rêver non plus qu’il se mettait en opposition avec sa mère. Il ressentait un peu de colère contre cette mère qui paraissait l’avoir mis au monde involontairement, qui s’était volontairement éloignée de lui, et qui — peut-être — ne se faisait maintenant connaître qu’involontairement. Ce soupçon jetait un certain jour sur son langage. La princesse, de son côté, était également sous le coup d’une colère différente, et ses yeux parurent plus grands dans sa pâleur, lorsqu’elle reprit, non sans violence :

— Pourquoi dis-tu que tu es heureux ? Tu es gentleman anglais ; je t’ai assuré cette position.

— Vous ne saviez pas ce que vous m’assuriez. Comment pouviez-vous disposer pour moi de mon patrimoine ? répli-