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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/218

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qua Deronda en s’asseyant sans le savoir et sans regarder sa mère. Une étrange intolérance l’enflammait ; cependant il s’efforça de se maîtriser et garda le silence. Il craignit de prononcer, dans sa colère, des paroles trop dures, surtout en ce moment, qui ne se renouvellerait peut-être jamais pour lui. Quand sa mère reprit la parole, sa voix était devenue plus ferme et plus résistante.

— J’ai choisi pour toi ce que j’aurais choisi pour moi. Comment aurais-je pu savoir que l’esprit de mon père renaîtrait en toi ? Comment aurais-je pu savoir que tu aimerais ce que je détestais ? Si réellement tu aimes d’être juif !.. Ces derniers mots furent prononcés avec tant de dédain et d’amertume, qu’un étranger aurait pu supposer que la haine régnait entre la mère et le fils.

Mais Deronda avait retrouvé la pleine possession de lui-même. Il se figura ce que la vie avait été et ce qu’elle était actuellement pour celle dont les plus belles années étaient passées, et qui, au milieu de ses souffrances, s’efforçait de lui parler d’un passé qui n’était pas seulement le sien, mais encore celui de sa mère. Il la regarda silencieusement et son visage reprit son calme pénétrant. Il paraissait avoir sur elle une influence étrange ; elle fixait les yeux sur lui avec une sorte de fascination qui était bien loin de ressembler à de l’amour maternel.

— Pardonnez-moi ce que je vais vous dire, reprit-il d’une voix grave. Pourquoi vous êtes-vous déterminée à me révéler aujourd’hui ce que vous m’avez laissé ignorer avec tant de soin ? Pourquoi semblez-vous mécontente que je sois heureux ?

— Oh ! les raisons de nos actions ! fit la princesse avec un petit ricanement qui ressemblait à un sarcasme dédaigneux. Pourquoi avez-vous fait telle chose ? Quand tu auras mon âge, cette question ne te paraîtra pas si simple. Il est des gens qui parlent de leurs motifs d’une manière