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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/255

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mère, pour ne pas faire une réponse cruelle. Il dit d’un ton grave et d’une voix suppliante :

— Mère, ne dites pas que je me crois sage. Nous sommes au milieu de difficultés immenses. Je ne vois d’autre moyen d’arriver à la clarté qu’en étant vrai, qu’en ne mettant pas à l’écart des faits qui portent en eux une obligation, qui sont des guides vers le devoir. Rien d’étonnant si ces faits viennent se révéler d’eux-mêmes, en dépit du secret dans lequel on a voulu les tenir. Votre volonté était forte ; mais le dépôt que vous avez accepté sans réaliser ses vœux, — ce que vous appelez son joug, — a été plus fort encore, car ses racines étaient profondes et s’étendaient au loin. Vous avez renoncé à moi ; vous me bannissez encore quoique votre fils, — le timbre de sa voix laissait percer une nuance d’irritation ; — mais ce quelque chose de plus fort a décidé que je serais d’autant plus le petit-fils que vous avez voulu annihiler !

Après un moment de silence, elle lui dit d’une voix basse et persuasive :

— Rassieds-toi.

Quand il eut obéi et qu’il se trouva près d’elle, la princesse, appuyant son bras sur l’épaule de son fils, continua :

— Tu me blâmes et tu es fâché parce que je te bannis ! Mais que pourrais-tu faire pour moi ? Je lasserais ta patience. Ta mère est une femme finie et brisée ! Tu me reproches de m’être séparée de toi et d’avoir eu assez de joies sans toi ? Maintenant que te voilà près de moi, je ne puis te donner de joie. As-tu en toi l’esprit de malédiction du juif ? Ne peux-tu me pardonner ? Seras-tu heureux de te dire que je suis punie parce que je n’ai pas été pour toi une mère juive ?

— Comment pouvez-vous me demander cela ? s’écria Deronda avec douleur. Ne vous ai-je pas supplié de me laisser être au moins un fils pour vous ? Mon plus