Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/264

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— Combien de temps naviguerons-nous encore ? s’aventura-t-elle de demander un jour, après qu’ils eurent touché à Ajaccio, et que le simple fait d’un débarquement avait donné un peu de répit aux pensées qui semblaient attachées au yacht et lui rendaient la mer odieuse.

— Que ferions-nous ? répondit Grandcourt. Je n’en suis pas encore las. Je ne vois pas pourquoi nous ne continuerions pas. On s’ennuie moins à bord qu’à terre. Où voudriez-vous aller ? Je suis dégoûté des villes et de l’étranger, et nous aurons assez de temps à rester à Reylands. Préféreriez-vous être à Reylands ?

— Oh non ! répondit Gwendolen, qui trouvait tous les endroits détestables dès qu’elle s’imaginait y être avec son mari. Je voulais seulement savoir combien de temps vous aimerez encore cette existence aquatique.

— Je préfère la navigation en yacht à toute autre chose ; et j’en ai été sevré l’année dernière. En seriez-vous déjà fatiguée ? Les femmes sont si diablement capricieuses ! Elles s’attendent toujours à ce qu’on leur cède.

— Oh ! Dieu, non ! dit Gwendolen d’un ton de langueur méprisante. Je ne m’attends jamais à ce que vous cédiez.

— Pourquoi le ferais-je ? repartit Grandcourt de son ton traînard et en pelant une orange. (Cela se passait à table.) Elle avait pris son parti de cette navigation dont elle ne prévoyait pas la fin. Mais, le jour suivant, après un grain assez violent qui l’avait rendue malade pour la première fois, Gwendolen vit entrer dans sa cabine son mari qui lui dit :

— Le diable a fait des siennes cette nuit. Le patron dit qu’il nous faudra demeurer à Gênes au moins une semaine pour réparer nos avaries et remettre tout en ordre.

— Le regrettez-vous ? demanda Gwendolen, qui dans son lit paraissait encore plus blanche que les draps blancs dans lesquels elle était couchée.