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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/265

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— Je le crois bien ! qui donc aimerait à griller à Gênes ?

— Ce sera un changement, répondit Gwendolen, que son état de malaise rendit un peu imprévoyante.

— Je n’ai pas besoin de changement. D’ailleurs la ville est intolérable, et l’on ne peut se promener dans ses rues poudreuses. Je louerai un bateau et je ramerai moi-même. On peut passer ainsi quelques heures tous les jours, au lieu de se démettre la mâchoire à bâiller dans une damnable chambre d’hôtel.

Cette perspective apporta un peu d’espoir au cœur de Gwendolen, qui pensa pouvoir demeurer seule de longues heures, puisque son mari ne parlait pas de la prendre avec lui en bateau ; dans la joie que lui fit éprouver cette idée de soulagement inattendu, elle eut de bizarres fantaisies sur la manière dont elle userait de sa liberté. Elle retrouva son énergie et prit tout avec un air de vivacité qui frappa son mari. Elle assista au lever de la lune avec moins de mélancolie que d’habitude ; elle eut même une vague impression que dans cette planète se préparait du secours pour elle. Pourquoi pas ? Le temps ne venait-il pas de se mettre de son côté ? Cette possibilité, après sa longue fluctuation au milieu de ses craintes, ressemblait au premier retour de l’appétit chez un malade depuis longtemps languissant.

Elle se réveilla le lendemain matin en entendant jeter l’ancre dans le port de Gênes. Elle avait rêvé qu’elle s’était échappée par le mont Cenis, s’étonnant de trouver qu’il y faisait chaud malgré la neige et le clair de lune, lorsque soudain s’offrit à elle Deronda, qui lui ordonna de retourner sur ses pas.

Une heure à peine après ce rêve, elle rencontrait en effet Deronda sur l’escalier monumental de l’Italia, au moment où, dans sa légère robe de laine blanche et son