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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/30

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femme et pour rendre ce caractère fier et rebelle, muet et impuissant devant lui.

Elle avait brûlé la lettre de Lydie Glasher dans un moment d’effroi instantané, redoutant que d’autres yeux que les siens pussent la voir, et elle avait obstinément soutenu à son mari qu’aucune autre cause que la surexcitation et la fatigue n’avait provoqué sa violente attaque nerveuse. Elle avait été forcée de mentir. « Ne me demandez rien, c’était plus fort que moi, c’était le changement soudain et mon départ de chez ma mère ! »

Mais les phrases de la lettre se dressaient à tout moment devant ses yeux et lui faisaient l’effet d’un arrêt du destin. Les mots avaient instillé leur poison dans ses veines et faisaient renaître la vision continuelle de la scène des Pierres Parlantes. Cette scène était pour elle une apparition accusatrice ; elle redoutait que Grandcourt la connût. Elle était prête à tout endurer plutôt que la mortelle humiliation d’avouer qu’elle savait tout avant de l’épouser et qu’elle avait manqué à la parole donnée.

Après la lecture de la lettre avait commencé l’empire qu’avait pris sur elle son mari et la crainte qu’il lui inspirait ; et il le savait. Il n’avait, il est vrai, aucun indice de la promesse violée, et, du reste, il aurait fait bon marché de cette atteinte à sa conscience ; mais il savait non seulement ce que Lush lui avait dit de la rencontre aux Pierres Parlantes, mais encore ce que lui cachait Gwendolen et qu’elle avait dû être la cause de son malaise inattendu. Il était sûr que Lydie avait enfermé un papier quelconque dans l’écrin des diamants, et ce papier avait inspiré à sa femme une nouvelle répulsion pour lui, et créé en même temps une raison pour qu’elle n’osât pas la lui manifester. Il ne s’inquiéta pas beaucoup, comme l’auraient fait d’autres maris, de ce que ses espérances matrimoniales étaient frustrées ; il avait voulu épouser