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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/348

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nouveau dans le dénuement. J’ai pensé qu’en n’acceptant que ce qui peut strictement suffire à son entretien… et pas plus… rien pour moi… je ne ferais pas mal ; car j’étais bien précieuse pour ma mère !… et il m’a pris à elle !… et il croyait… et si elle avait su…

Elle n’en put dire davantage. Elle s’était préparée à cette entrevue sans penser à autre chose qu’à la question intéressant sa mère ; mais il en avait découlé des pensées et des raisonnements qu’il lui était difficile de formuler, et ces souvenirs périlleux qui accouraient en foule, rendaient ses paroles de plus en plus agitées et tremblantes. Elle avait baissé les yeux et regardait ses mains, dont les bagues étaient absentes, à l’exception de son anneau de mariage.

— Ne vous faites pas de mal en parlant de ces sortes de choses, dit tendrement Deronda, cela n’est pas nécessaire ; le cas est très simple. Je crois pouvoir le juger sainement. Vous me consultez parce que je suis le seul à qui vous ayez confié la partie douloureuse de votre existence, et je comprends vos scrupules. — Il ne continua pas, voulant lui laisser le temps de se remettre. Son silence parut plein de bonté à Gwendolen, qui osa lever yeux et le regarder quand il reprit :

— Vous avez conscience de quelque chose que vous considérez comme un crime envers le défunt. Vous croyez avoir perdu tout droit de vous dire sa femme. Vous reculez devant l’idée de prendre ce qui vient de lui. Vous désirez demeurer pure en ne profitant en rien de sa mort. Votre cœur vous pousse à vous punir, à châtier l’être qui a désobéi à votre meilleur vouloir, le vouloir qui luttait contre la tentation. J’ai connu moi-même un sentiment de ce genre. Me comprenez-vous ?

— Oui ; je désire être bonne, ne pas ressembler à ce que j’ai été. J’essayerai de supporter ce que vous croirez