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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/350

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trop visibles pour qu’il ne se sentît pas obligé à un effort de conscience. Quand elle eut séché ses larmes, il lui dit d’un ton affectueux :

— Vous irez bientôt à la campagne avec madame Davilow ?

— Oui, dans huit ou dix jours.

Elle attendit un peu et reprit :

— Je veux être bonne pour elles toutes… Elles peuvent être plus heureuses que moi : n’est-ce pas le mieux que je puisse faire ?

— Je le crois. Ce devoir n’est pas douteux et il en fera naître d’autres pour vous. Votre vie, considérée comme une dette, peut sembler, à distance, la plus triste des existences ; mais il n’en sera réellement pas ainsi. Ce qui attriste la vie, c’est le manque de but ; mais, quand on a commencé à agir dans le but pénitentiel et aimant que vous avez dans l’âme, il arrive des satisfactions inattendues, et vous verrez votre vie croître et fleurir comme une plante.

Elle tourna les yeux vers lui avec le regard d’un homme altéré qu’attire le murmure d’une source qu’il n’a pas encore vue.

— Cette douleur, reprit-il, vous est arrivée pendant que vous êtes encore bien jeune… Essayez d’y penser, non comme à une spoliation de votre vie, mais comme à une préparation.

Quelqu’un qui aurait entendu les intonations de sa voix aurait cru qu’il intercédait pour son propre bonheur.

— Voyez ! vous avez été sauvée des maux les plus affreux qui pouvaient résulter de votre mariage… Vous avez senti que vous commettiez un tort… Vous avez eu une vision d’acte injurieux, égoïste, une vision de dégradation possible. Pensez qu’un ange, vous voyant sur la