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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/359

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temps dehors. En entrant dans la chambre, sa première inquiétude fut pour Ezra ; elle courut à lui, prit ses mains dans les siennes et les lui serra passionnément ; mais il ne parla ni ne la regarda. Lapidoth, quoique sa tête fût cachée, savait très bien que sa fille venait d’entrer ; il se redressa, passa son mouchoir sur ses yeux, tendit la main vers elle et lui dit avec un enrouement plaintif :

— Adieu, Mirah ; ton père ne t’ennuiera plus. Il est digne de mourir comme un chien dans un fossé, et il le veut. Si ta mère avait vécu, elle m’aurait pardonné. Il y a trente-quatre ans que je lui mis l’alliance au doigt sous la chuppa quand nous fûmes mariés. Elle m’aurait pardonné et nous aurions fini nos vieux jours ensemble. Mais je ne l’ai pas mérité. Adieu !

Il se leva ; mais Mirah, posant sa main sur lui, le retint. Elle ne pleurait pas ; elle ne se plaignait pas, mais elle était comme hors d’elle-même quand elle s’écria :

— Non, mon père, non !…

Puis, se tournant vers son frère :

— Ezra, dit-elle, tu ne l’as pas renvoyé ?… Restez, mon père, et oublions les torts… — Ezra… c’est impossible !… Je ne puis dire à mon père : « Va et meurs !… »

— Je ne l’ai pas dit, répliqua Ezra en faisant un grand effort, j’ai dit : « Restez et soyez protégé. »

— Alors vous resterez, mon père… Nous aurons soin de vous. Venez avec moi !

Et elle l’attira vers la porte. C’était ce que voulait Lapidoth ; il voyait avec plaisir la docilité de sa fille et crut qu’un changement d’habitudes lui serait possible. Elle le fit descendre au parloir et lui dit :

— C’est ici que je travaille quand je ne suis pas avec Ezra. Derrière, il y a une chambre à coucher qui sera la vôtre. Vous resterez avec nous et vous serez bon, mon père. Dites-vous que vous êtes revenu auprès de ma mère