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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/380

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— Oh ! mon Dieu, c’est bien simple. Comme je sais ce que c’est que d’être un pauvre diable, j’apprends à distinguer les signes de misère chez les autres. J’ai remarqué que Rex ne va jamais à Offendene et qu’il n’a pas vu la duchesse depuis qu’elle y est revenue ; de plus, miss Gascoigne a laissé échapper quelques mots qui me prouvent qu’autrefois Rex a été amoureux fou de sa belle cousine. Je ne sais pas quel rôle elle a joué dans la pièce. Peut-être le duc est-il venu et l’a-t-il enlevée ! C’est toujours ce qui arrive quand un jeune homme exceptionnellement bon se laisse enguirlander par un attachement. Je comprends maintenant pourquoi Gascoigne parle de faire de la loi sa maîtresse et de rester célibataire. Mais ce sont des résolutions prématurées. Puisque le duc ne s’est pas noyé par égard pour vous, il peut se faire que ce soit par égard pour Rex. Qui sait ?

— Est-il donc absolument nécessaire que madame Grandcourt se remarie ? demanda Deronda.

— Monstre ! répliqua Hans, voulez-vous donc qu’elle porte votre deuil toute sa vie ; qu’elle brûle dans une suttee perpétuelle pendant que vous êtes vivant et heureux ?

Daniel ne répondit rien ; mais il parut si contrarié, que Hans changea d’entretien. Quand il fut seul, il haussa les épaules à la pensée que peut-être y avait-il eu entre Daniel et la duchesse un sentiment plus fort que Mirah n’aimerait à le savoir. « Pourquoi n’est-elle pas éprise de moi ? se dit-il en riant ; elle n’aurait pas eu à craindre de rivale. Jamais une femme n’a voulu discuter théologie avec moi. »

Il n’y a rien d’étonnant à ce que Deronda eût tressailli en entendant cette plaisanterie. Elle touchait à des sensations qui déjà le faisaient trembler, dans la prévision d’une peine à laquelle les paroles de Hans donnaient plus