Aller au contenu

Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/381

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de réalité encore, car il avait la ferme résolution de ne pas reculer devant l’épreuve. Le lendemain, il se rendit à Offendene. Il y avait préalablement envoyé un mot pour savoir de Gwendolen si elle pourrait le recevoir. Elle l’attendait dans le vieux salon qui avait déjà été le témoin de plus d’une crise dans sa vie, et paraissait moins triste qu’elle ne l’avait encore été depuis la mort de son mari. Si son visage n’était pas éclairé par un sourire, il laissait discerner du moins une calme possession d’elle-même, contrastant de tous points avec l’état où il l’avait vue la fois précédente. Dès qu’ils se furent assis à peu de distance l’un de l’autre, elle dit :

— Vous craigniez de venir parce que dernièrement vous m’aviez vue au comble de la désolation ; mais il n’en est plus de même aujourd’hui. J’en ai été bien peinée. Je me suis fait une raison ; je ne veux pas perdre tout espoir ; je veux me montrer aussi calme que possible, car je ne voudrais pas vous ennuyer.

Il y avait dans son accent et dans son regard une douceur inaccoutumée, qui fit penser à Deronda que la tâche dont il allait s’acquitter était bien cruelle, mais il se crut obligé de faire de sa réponse le commencement de cette tâche.

— Je suis triste aujourd’hui, dit-il, parce que j’ai des choses à vous dire qui vous feront peut-être supposer que j’ai manqué de confiance en vous en les taisant si longtemps. Ces choses touchent à mon sort et à ma vie, elles ont rapport à mon avenir. Il me semble que ce serait mal répondre à la confiance que vous avez placée en moi si je ne vous donnais une idée des événements qui ont occasionné pour moi de grands changements. Mais chaque fois que nous nous sommes vus, c’est à peine si j’ai eu le temps d’aborder les sujets qui, en réalité, me touchaient moins que les épreuves par lesquelles vous avez passé.