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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/69

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— Je ne veux pas appeler mon amour sans espoir, dit avec une froideur provocante Hans, qui, après avoir déposé palette et pinceaux, avait fourré ses pouces dans sa ceinture et s’éloignait un peu pour mieux contempler son tableau.

— Mon cher camarade, vous vous préparez des chagrins, dit Deronda. Elle n’épousera pas un chrétien, quand même elle l’aimerait. L’avez-vous entendue parler de son peuple et de sa religion ?

— Cela ne durera pas, répliqua Hans. Elle ne verra pas un juif qui soit tolérable. Tous les mâles de cette race sont insupportables avec leurs nez qui avancent d’une façon inadmissible.

— Elle peut retrouver sa famille, c’est son seul désir. Sa mère et son frère sont probablement des juifs orthodoxes.

— Je me ferai prosélyte si elle l’exige, fit Hans en riant.

— Ne dites point de sottise, Hans. Je croyais que vous professiez pour elle un amour sérieux.

— Je le professe aussi. Vous le croyez désespéré, mais moi pas.

— Je ne sais rien ; je ne puis dire ce qui est arrivé ! Il faut nous préparer à des surprises ; mais la plus grande pour moi serait qu’il y eût, dans les sentiments de Mirah, quelque chose sur quoi vous puissiez fonder une espérance romanesque. — Deronda sentit qu’il devenait méprisant.

— Je ne fonde pas d’espérances romanesques sur les sentiments d’une femme, répondit Hans, toujours porté à se montrer plus gai quand on lui parlait avec gravité. Pour mon roman, je fais appel à la science et à la philosophie. La nature a destiné Mirah à devenir amoureuse de moi. Le mélange des races le demande, la mitigation de la laideur humaine l’exige, l’affinité des contrastes l’assure. Je suis le contraste le plus complet de Mirah… un chrétien blond, qui ne peut pas chanter deux notes justes ! Qui donc a autant de chances que moi ?