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LES ROUGON-MACQUART

La chambre n’avait pas changé depuis la veille ; elle était toujours moite, silencieuse, emplie du même râle, long et pénible. Sur le lit, le vieillard restait rigide, dans une perte complète du sentiment et du mouvement. La boîte de chêne, pleine de fiches, encombrait encore la table ; pas un meuble ne semblait avoir été dérangé ni même ouvert. Cependant, les Duveyrier paraissaient plus abattus, las d’une nuit sans sommeil, les paupières inquiètes, tiraillées par une continuelle préoccupation. Dès sept heures, ils avaient envoyé Hippolyte chercher leur fils Gustave au lycée Bonaparte ; et l’enfant, un garçon de seize ans, mince et précoce, était là, dans l’effarement de ce jour inespéré de vacances, à passer près d’un moribond.

— Ah ! ma chère, quel coup affreux ! dit Clotilde en allant embrasser Berthe.

— Pourquoi ne pas nous prévenir ? répondit celle-ci, avec la moue pincée de sa mère. Nous étions là pour vous aider à le supporter.

Auguste, d’un regard, la pria de garder le silence. Le moment n’était pas venu de se quereller. On pouvait attendre. Le docteur Juillerat, qui avait déjà fait une première visite, devait en faire une seconde ; mais il ne donnait toujours aucun espoir, le malade ne passerait pas la journée. Auguste communiquait ces nouvelles à sa femme, lorsque Théophile et Valérie entrèrent à leur tour. Tout de suite, Clotilde s’était avancée, et elle répéta en embrassant Valérie :

— Quel coup affreux, ma chère !

Mais Théophile arrivait, très monté.

— Alors, maintenant, dit-il, sans même étouffer sa voix, quand votre père se meurt, c’est votre charbonnier qui doit vous l’apprendre ?… Vous avez donc voulu prendre le temps de retourner ses poches ?

Duveyrier se leva, indigné. Mais Clotilde d’un geste